Depuis le 15 février, l’une des plus puissantes institutions mondiales est dirigée par une femme. Après avoir été ministre des Finances puis des Affaires étrangères au Nigeria et armée d’une expérience de vingt-cinq ans à la Banque mondiale, Ngozi Okonjo-Iweala est le nouveau visage de l’Organisation Mondiale du Commerce. Un symbole fort qui, s’il peut prêter à la célébration, interroge sur la place des femmes dans les sphères de pouvoir. Véritable colonne vertébrale de la société, le secteur économique ne fait pas exception à la règle, loin de là : en 2018, 93% des postes de directeurs financiers étaient occupés par des hommes et seulement 11 des 173 banques centrales dans le monde étaient dirigées par des femmes. Et si elles représentent 53,52% des salariés des grands groupes financiers français, les comités exécutifs ne comptent, eux, que 20,8% de femmes. Quels mécanismes sont à l’origine de ces inégalités et lesquels permettent de les perpétuer ? Quels leviers les femmes ont à leur disposition pour inverser la dynamique et (re)prendre leur indépendance économique ?
Les femmes, grandes absentes des sphères de pouvoir
Si les sciences sociales ont pu avoir vocation à être neutres, ce paradigme semble en profonde mutation. Encouragée par des mouvements sociaux et sociétaux d’ampleur inédite, la recherche questionne ses biais et leurs conséquences sur la société. Hélène Périvier, économiste à l'OFCE, interroge à ce titre dans son livre “L’Economie Féministe” les concepts et fondements de l’économie à travers un prisme féministe. Une perspective aussi éclairante que nécessaire, tant l’économie reste la science sociale la moins féminisée avec seulement un quart de femmes économistes. En apportant une nouvelle perspective plus engagée, de nouveaux travaux de recherche font de l’économie une science en lutte contre les inégalités de genre et participent à la déconstruction des mécanismes qui, dans la théorie comme dans la pratique, mettent les femmes à l’écart.
Ce que le féminisme fait à l’économie c’est d’abord en débusquer les biais cognitifs. - Hélène Périvier, Economiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques
Les arrivées remarquées de Christine Lagarde à la tête de la Banque Centrale Européenne ou de Ngozi Okonjo-Iweala à celle de l’Organisation Mondiale du Commerce ne suffiront pas à rééquilibrer la balance d’une économie encore très majoritairement masculine. Selon le rapport du cabinet Oliver Wyman, les femmes représentent toujours moins d’un quart des conseils d’administrations et seulement 6% des places de PDG. Ces espaces de pouvoir semblent encore inaccessibles aux femmes puisque, selon le baromêtre de Financi’elles, 93% des postes de directeurs financiers étaient en 2018 occupés par des hommes.
Des inégalités amplifiées par la crise
Le contexte sanitaire et économique auquel nous faisons face n’a pas arrangé l’enjeu des inégalités hommes-femmes. Dans un contexte professionnel, selon une étude de l’Ipsos, ce sont 79% des femmes qui se sentent plus apeurées, stressées et bien moins confiantes contre 61% chez les hommes. Et si les femmes subissent plus largement les conséquences de cette crise c’est parce qu’elles sont sur-représentées dans les secteurs les plus impactés par le contexte comme ceux de la restauration, de l’hôtellerie, des services ou encore de la santé.
Pourtant, les femmes prouvent une résilience parfois bien plus importante que celle les hommes. Une étude de Skema Business School et La Banque Postale a souligné une résilience plus forte à la crise pour les entreprises du CAC 40 ayant un management plus diversifié. Les entreprises ayant 54% de femmes cadres à leurs côtés ont vu leurs performances battre de 10 points de pourcentage celles des entreprises à 16% “féminisées”. La raison : la promotion de l’inclusion au travail favorise la créativité et l’innovation grâce à la pluralité des connaissances et des compétences. La dernière étude de McKinsey sur la diversité et l’inclusion a révélé que les organisations ayant des conseils d’administration diversifiés et des équipes de direction diversifiées étaient susceptibles de performer jusqu’à 36% de plus que leurs concurrents moins diversifiés.
Si de nombreuses études le démontrent, Anne-Laure Kiechel, économiste et conseillère de nombreux·se·s chef·fe·s d’États, a quant à elle pu expérimenter cette réalité. Invitée de notre Canap’itch « Le capital fait-il genre ? » à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la conseillère en économie passée par Rotschild et Lehman Brothers nous a fait part de son analyse concernant les réponses à la crise en fonction du genre : « Ce qui est certain c’est qu’il y a des manières différentes qu’on soit un homme ou une femme de traiter certains aspects de crise ou de gestion de tension. » L’ancienne conseillère du ministre grec Alexi Tsipras « remarque une approche qui est complètement différente » parmi ses client·e·s qui se traduit notamment par des décisions concrètes et précises chez les dirigeantes tandis que les hommes voient les choses plus largement et optent pour des décisions plus globales.
Et chez LITA.co ?
Pour que cette analyse qui prend en compte les spécificités de genre puisse mener à une redistribution des cartes dans les sphères de pouvoir, elles doivent se concrétiser dans l’entreprise à travers des politiques de lutte contre les discriminations à la fois ambitieuses et concrètes. Chez LITA.co, cet engagement pour l’égalité, peut-être inconsciemment induit par le duo de fondateur·rice·s Eva Sadoun et Julien Benayoun, est une véritable boussole.
Un engagement qui se retranscrit dans notre communauté qui comptabilise dans ses rangs 31% de femmes. Si le combat est loin d’être gagné, certains indicateurs montrent toutefois une tendance positive : les personnes inscrites sur notre plateforme ayant franchi le cap de l’investissement en 2020 sont à 35% des femmes. Une évolution d’autant plus encourageante qu’elle se confirme sur les tranches d’âge les plus jeunes. Si les femmes s’intéressent de plus en plus aux enjeux d’investissement, elles le font également de plus en plus tôt : les femmes de 25-34 ans représentent ainsi 14% de notre communauté d’investisseur·se·s en 2020 (contre 10% en 2019) mais également et surtout 43% de nos investisseuses.
Si Anne-Laure Kiechel relevait des disparités comportementales en fonction du genre dans la prise de décision gouvernementale, la dynamique semble moins marquée dans l’investissement. Comme leurs homologues masculins, nos investisseuses font le choix de répartir leurs produits financiers pour équilibrer leurs portefeuilles. Et si elles montrent un attrait pour la sécurité en étant 40% à investir dans la pierre à travers nos projets d’immobilier durable (contre 28% chez les hommes), la balance s’équilibre en termes de risque et d’innovation : hommes comme femmes investissent à hauteur de 40% les projets start-up for good.
Pourquoi les femmes investissent plus ? Certainement parce qu’elles entreprennent plus. Nous sommes convaincu·e·s qu’en favorisant l’entrepreneuriat féminin, nous favorisons l’investissement féminin. Si cette tendance ne se confirme pas de manière systématique, elle révèle une véritable dynamique : Fabulabox, la start-up de jouets éthiques dirigée par Alexandra Morge Rochette, a vu sa levée de fonds financée par 30% de citoyennes tandis que Dream Act, la plateforme de vente de produits éco-responsables co-fondée par Diane Scemama et Claire Chouraqui, compte 40% de femmes dans ses investisseur·se·s.
Alors, le capital a t-il un genre ?
Une dynamique annonciatrice d’une véritable révolution économique en termes de parité ? Pas tout à fait car si l’émergence d’une finance plus responsable et plus inclusive offre un véritable espoir, elle s’inscrit dans le cadre d’une véritable lutte systémique. Pour Céline Bessière, professeure de sociologie, et Sibylle Gollac, sociologue et chercheuse au CNRS, le capital a un genre et reste « résolument masculin » mais il a également une classe sociale. Dans "Le genre du capital", elles y décortiquent les mécanismes qui favorisent l’appropriation masculine du capital et le lien entre inégalités et classe sociale. Une réflexion profonde et structurelle sur la façon dont les inégalités salariales, le travail domestique ou encore les questions d’héritage façonnent encore notre société et notre économie qu’elles ont exposé au micro de Victoire Tuaillon dans un passionnant épisode du podcast « Les Couilles sur la Table ».